Jadis, il y a bien longtemps de cela, plus longtemps que notre mémoire le permet, qu’un gland bien mur produit par un de mes ancêtres est tombé dans un grand fossé.
Il existe encore de nos jours et fait toujours office de limites de propriétés entre les restes de deux métairies nommées « Kerbleiz » et « Kerzorn ».
Le fossé, aujourd’hui, envahit par les ronces et les aubépines noires, la lande et les genêts, était si large et si profond que je me suis mêlé et adapté à cet environnement et j’ y ai grandi doucement.
Mais voici que malgré moi et à mon corps défendant je suis devenu objet de chamailles.
Les métayers qui se succédèrent à « Kerbleiz » étaient de petite taille, trapus et rondouillets mais cependant agiles. Ils étaient aussi un peu craintifs et sauvages comme les petits animaux qui me tiennent compagnie et qui cohabitent dans les taillis et broussailles.
Ceux de « Kerzorn » étaient de plus grandes tailles, rugueux et secs. Ils étaient froids, de glace, comme ces matins d’hiver où la campagne est toute givrée, les toits blancs et une bise qui vous cingle les oreilles.
Au fil des années j’ai grandi et grossi aussi.
J’ai pris du volume et de la hauteur.
De par mes racines qui plongent dans le sol en profitant de l’humus du fossé, mon fut s’est bien arrondi avec une écorce épaisse et dure, et mes branches montent presque jusqu’au ciel me permettant de dominer les champs et les prés, les fermes et les villages et bien sur les clochers.
Je m’y plais en ce lieu en rythmant les saisons avec la faune et les oiseaux, les herbes et les arbustes et les eaux.
Mais combien de coups de serpes n’ai-je pas endurés lors de différents et de chicaneries de voisinage.
Tantôt c’était ceux de « Kerbleiz » qui m’ébranchaient car mes branches généreuses faisaient de l’ombre à leurs terres, en d’autres moments c’était ceux de « Kerzorn »qui coupaient mes racines qui dépassaient dans leurs champs.
Certes, être au milieu n’est point aisé et contenter l’un et l’autre plus difficile encore.
Mais combien j’ai aimé partager l’insouciance des enfants des deux métairies qui malgré les rivalités qui envenimaient leurs relations d’adultes venait jouer avec moi.
Combien de fois les enfants sont-ils montés jusqu’à ma cime pour admirer le ciel et voir plus loin qu’un fossé si profond plein de rancœurs ?
Combien de fois ai-je déployé mes branches pour accueillir les cabanes interdites et cacher par mes feuilles bien vertes tous lieux secrets où s’échangeaient les tendresses et les mots doux ?
Combien de rires d’enfants ai-je partagés lors de leurs jeux enfantins quel que soit l’aigreur des grandes personnes absorbées par leurs humeurs ?
Combien de secrets entendus, partagés et bien gardés !
H.P-K ( janvier 2017)Et vous qu'avez vous à partager?
A vous de le dire .....en laissant la plume danser et en transmettant votre feuille à: encrier.plume.feuille@laposte.net